Belgique : cherche ovule désespérément

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Un jour, je révélerai à ma fille qu'elle a été conçue grâce aux ovules d'une autre femme. Je ne pourrai pas lui donner un nom ni un visage, mais je tracerai le portrait d'une généreuse. Une femme qui a fait don de soi pour aider une désespérée, pas pour de l'argent ». Dans le salon de sa petite maison près de Halle (Brabant flamand), Charlotte joue avec Zazie, 15 mois, blonde et belle à croquer. « Je suis sûre que sa maman biologique est jolie et intelligente, comme l'est Zazie. Je pense souvent à elle comme quelqu'un qui m'a offert le bonheur ».

Victime d'une maladie des ovaires, Charlotte a su très jeune qu'elle serait stérile. Cela n'a pas entamé son désir de maternité. Mais à 28 ans, quand toutes les tentatives de stimulation ovarienne ont échoué, l'une après l'autre, il a fallu se rendre à l'évidence : son couple devrait faire appel à la science. « Nous n'avons pas songé à l'adoption : je voulais être enceinte ». Le couple s'adresse à une clinique de la fertilité bruxelloise, l'un des centres de référence en matière de procréation médicalement assistée (PMA). La solution : « emprunter » les ovocytes d'une autre, pour qu'ils soient fécondés par le sperme de son mari, puis l'embryon implanté dans son propre utérus. La technique est éprouvée.

Oui mais voilà : Charlotte ne connaît aucune donneuse potentielle. « Je n'ai ni soeur ni cousine, personne d'assez proche pour me « prêter » ses ovaires. Et mes amies avaient leurs propres projets d'enfants, aucune ne voulait prendre de risque ». Dans le centre où Charlotte est suivie, le verdict tombe : pas de donneuse. Trois ans d'attente, minimum. On lui conseille l'Espagne où, pour 4.000 euros, lui dit-on, elle peut bénéficier des ovules d'une donneuse anonyme. L'Espagne, seul pays d'Europe où, comme aux Etats-Unis, le commerce des gamètes (cellules reproductrices) est autorisé. « Pour nous, c'était impensable : trop loin, trop long, trop cher, trop risqué… »

Pas découragée, Charlotte apprend qu'il est possible, en Belgique, de bénéficier de dons anonymes. Tous les centres de PMA n'exigent pas forcément des candidats receveurs qu'ils dénichent eux-mêmes une donneuse. La clinique de fertilité de l'hôpital Erasme, à Bruxelles, fut même la première à mettre au point un système original de « cross donation » qui consiste, en résumé, à permuter les ovocytes prélevés chez les donneuses et à partager les gamètes excédentaires. Ça lui permet d'accueillir plus de receveuses que de donneuses. « Nous obtenons trois fois plus de grossesses que si tous les gamètes d'une donneuse étaient réservés à une seule receveuse, explique le Pr Yvon Englert, qui dirige la clinique. Nous avons un taux de réussite de 103 %, soit un peu plus d'une femme enceinte par prélèvement (en moyenne une vingtaine d'ovocytes par donneuse, mais tous ne sont pas viables). L'anonymat reste préservé. Le système est lourd, tous les centres ne sont pas capables de l'organiser mais c'est la meilleure réponse au problème de la pénurie. Donc la meilleure arme contre le risque de dérive mercantile qui pèse sur le don de gamètes ».

Mercantile : le mot est lâché. La semaine dernière, au nom de la clinique de fertilité Life (« Leuven Institute for Fertility and Embryology ») d'un hôpital privé de Louvain, une certaine Lieve Van Weddingen annonce son intention de recruter des donneuses sur les campus universitaires. Argument sonnant et trébuchant à la clé : 750 euros par donneuse ! La KUL, l'université louvaniste, prend immédiatement ses distances : « Nous n'avons rien à voir avec cette clinique privée, et jamais notre comité d'éthique n'a été consulté, nous précise le professeur Thomas d'Hooghe, directeur du centre de fertilité de l'UZ Leuven. Je conteste le caractère agressif de cette campagne et le fait qu'elle cible des étudiantes, population vulnérable d'un point de vue physique, psychologique et financier. Donner ses ovocytes n'est pas anodin ni sans risque, c'est une décision qui doit être mûrement réfléchie et pas motivée par des considérations financières ».

L'hôpital Heilig Hart de Louvain, dont dépend Life, met les points sur les i : « Nous disposons d'un centre de PMA reconnu. Comme partout ailleurs, nous avons besoin de donneuses mais l'initiative de Mme Van Weddingen, une personne indépendante qui travaille avec certains de nos médecins, est une initiative personnelle que nous contestons ». Lieve Van Weddingen, elle, se retranche derrière un laconique : « Je ne peux plus parler à la presse ». Mère de deux enfants, elle-même donneuse d'ovocytes, elle anime avec deux médecins de Life le site web « eiceldonatie » (don d'ovule) qui vise à constituer une réserve de donneuses assez importante pour faire face à la pénurie qui sévit en Belgique. A l'en croire, sans aucun but lucratif.

Comment pourrait-il en être autrement ? « Depuis juillet 2007, la PMA est encadrée par une loi et celle-ci est très claire, martèle Laurette Onkelinx, ministre PS de la Santé. Elle autorise le don de gamètes à titre gratuit. Point. Il ne peut y avoir ni démarchage, ni commercialisation des ovocytes. Ce que se propose de faire Life est punissable de un à cinq ans de prison et d'une amende allant jusqu'à 10.000 euros ». La sénatrice MR Christine Defraigne, cheville ouvrière de la loi – « mère porteuse », sourit-elle –, confirme : « Les sommes énoncées me paraissent contra legent et entrent dans son champ d'application ; les parquets compétents peuvent et doivent poursuivre ».

Sauf que… La plupart des cliniques de fertilité du pays (maximum deux par province et quatre à Bruxelles) offrent aux donneuses une compensation financière, qui dépasse parfois le millier d'euros. Ce défraiement, lui, est autorisé par la loi. Il vise à couvrir les frais engendrés par un traitement qui peut durer 3 à 4 semaines, conduit les donneuses plusieurs fois à l'hôpital, à suivre un traitement hormonal, devoir prendre congé, recevoir des injections, subir une petite intervention… Un coût variable selon la durée du traitement, la distance du domicile, la situation professionnelle. Comment évaluer le montant approprié ? Comment éviter que la compensation devienne une rémunération déguisée, interroge la sénatrice CDH Anne Delvaux ? « La situation actuelle donne lieu à une concurrence malsaine et contraire à l'esprit de la loi », argue-t-elle. « La loi donne la possibilité au Roi de fixer le montant de la compensation, précise Christine Defraigne. La balle est dans le camp de la ministre : il faut qu'elle rédige un arrêté pour mettre fin à l'incertitude ». Laurette Onkelinx nous l'a confirmé : elle en fait une priorité.

Si l'on craint à ce point les dérives, c'est que l'exemple existe ailleurs. Aux Etats-Unis, près de 150 cliniques de la fertilité conservent aujourd'hui des ovules congelés, un chiffre qui a doublé en trois ans et croît exponentiellement. Des sociétés se sont fait une spécialité du commerce des ovocytes, dont le prix moyen (par donneuse) dépasse les 4.000 dollars, selon le journal spécialisé Fertility and Sterility. En cause : la loi de l'offre et de la demande, qui produit ses effets là où elle s'applique sans garde-fous éthiques.

Ils existent en Belgique, mais ici aussi, la demande dépasse largement l'offre. « On estime actuellement que 2 % des enfants nés en Belgique ont été aidés à la conception, évalue le Dr De Sutter, du centre de fertilité de l'hôpital universitaire de Gand. Une proportion qui pourrait passer à 10 % d'ici 15 à 20 ans ». Un couple sur six demanderait aujourd'hui une assistance médicale pour concevoir un enfant. Même s'il existe bien d'autres raisons, les problèmes de fertilité féminine sont en forte croissance.

 

« Les femmes intelligentes doivent avoir des enfants jeunes », martelait la semaine dernière le sénateur VLD Patrick Van Krunkelsven. Une formule à l'emporte-pièce qui caricature la réalité : les femmes conçoivent de plus en plus tard. Et avec l'âge, les troubles de la fertilité augmentent. Yvon Englert :« Entre 25 et 30 ans, le risque de stérilité double chez la femme, passant de 3,5 à 7 %. Puis il ne cesse d'augmenter pour atteindre 99 % à 49 ans ». Mode de vie, stress, pollution, alimentation, tabac… Les raisons sont multiples.

 

« S'apercevoir à 40 ans qu'on est stérile alors que les accidents de la vie vous ont empêché d'avoir un enfant plus tôt, c'est un drame, témoigne Céline, Louviéroise de 27 ans qui a donné ses ovocytes pour qu'une amie de sa tante puisse être inséminée. Cette femme était si malheureuse que moi qui ai déjà deux enfants, j'ai pensé devoir l'aider. Le traitement est en cours. Il n'a jamais été question de rémunération. Je considère que ce serait une forme de prostitution ».

Lisa non plus ne peut imaginer « donner la vie pour de l'argent ». Cette belle Anderlechtoise d'origine portugaise a offert ses ovaires à Marie, sa soeur aînée, dont elle est inséparable. Grâce au système de la permutation, les douze ovocytes qu'on lui a prélevés ont profité à d'autres femmes, tandis que Marie, 35 ans, a eu droit à autant d'essais. « Les quatre premières tentatives n'ont pas marché, raconte Lisa, les embryons n'ont pas survécu. La dernière fois, Marie a fait une fausse couche à sept semaines, cela a été terrible, elle est tombée en dépression. Cette fois, on lui a implanté le dernier ovocyte auquel elle a droit. Elle est à quatorze semaines de grossesse et tout va bien, je touche du bois. Mais on vit dans l'angoisse. Si ça rate, il faudra tout recommencer à zéro et elle ne sera plus prioritaire ».

Pour Charlotte, la maman comblée de Zazie, tout a marché du premier coup. Au point qu'elle vient d'adresser sa requête au centre de PMA pour renouveler l'expérience. « Ils m'ont dit que je n'avais plus la priorité, car beaucoup d'autres femmes espèrent encore leur premier enfant. Ils m'inscrivent sur une liste d'attente. Il faudra un autre miracle ». De là à ouvrir son portefeuille, si ça lui était permis… PHILIPPE BERKENBAUM Le Soir, 18/02/2008, page 9:

Publié dans PMA - Belgique

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